Autres poèmes du recueil Carnet de Voyage (Prix Arthur Rimbaud 2004)
Je suis un lourd chemin taillé comme une robe,
Qui monte, brisant comme un pâle mascaret,
Et parle de ce vague à l'âme qui m'enrobe
Puis flotte dans l'odeur infâme de goret !
Je vais en la nature avec mon limonaire,
Mon compagnon de route aux rythmes de jadis,
Revendre ma musique aux danses de tonnerre,
Etreindre d'un pinceau les toiles des esquisses !
Ce soir, je m'en irai reboire un minestrone
Plus large que la mer qui force les courroux,
Survivre en une auberge en reine qui couronne
Le libre voyageur de mets à ses genoux !
Et je repartirai demain, visage glabre,
Derrière l'Italie qui montre ses couleurs,
Avec la caravelle en force qui délabre
La fragile santé de ses quelques haleurs !
LES CITES ENGLOUTIES
Ouvrez votre chaleur, ô mer de comédie,
Théâtre de sophisme où nagent les chinchards
Qui traînent leur passion hargneuse en maladie,
Libèrent leur soleil, enchantent les clochards !
Voici des lueurs bleues qu'encense l'espérance
Et qui font, avec joie, danser les artimons
Du lourd navire allant aux flammes de l'errance
Etendre ses rubans semblables aux saumons !
Ô cités englouties dont la lumière fuse,
Sans vague, dans le soir, au gris proéminent,
Venez donc accueillir notre vie comme intruse
Sous vos profondeurs, sols où chutent les manants !
Voilà que le parfum de mer dans ma narine
Suprême se prolonge en rythme ! Respirons
Les flots ! Voici l'ivresse et l'essence marine
Que hument les cités aux dignes mascarons !
Mais, quel est ce passé qui déferle en la ville
Et devant le navire immergé, les atours
D'un soleil enfoncé dans la mer qui défile
En grondant en surface et s'enfuit sans retours ?
Mais, qui vois-je en ces lieux se noyer dans les lames
De banquise et partir se coucher au galop,
Sur le sable immobile aux sanglots qui déclament
La misère de fuir en horreur sous les flots ?
Le vaisseau ne suit plus son chemin vers l'Asie !
Il a l'air de la mer dans le froid pour fumet,
Et tremblant au passé, rien ne vaut, cramoisie,
Que le sang du soleil pour dernier calumet !
Et devant tous les pleurs que dégagent les vagues
Ignorées dans le fond aux vestiges humains,
Fleurissent, dispersés, des trésors et des bagues
Qu'un jour le vieux naufrage a perdus de ses mains !
Moi qui perdais de vue les écrins et les muses,
Me voilà de nouveau, sous les flottes, imbu
De renaissance au cœur des torrides méduses
Que les êtres vivants verraient dans l'inconnu
De l'ombre de la mort ! Au silence, je coule
Comme un homme oublié qui demeure laquais
D'un périple où le drame a frappé dans la houle
Sans jamais n'arriver au pays, sur les quais…
VOYAGE LEGENDAIRE DANS LES RÊVES
Souvent, je me revois couché sur mon drap-housse,
Songeant à la mer bleue en force qui galope
Et à cette licorne, aux vagues, interlope
Que j'imagine encore en ma cervelle, rousse !
Le cœur à marée basse ! Ô malheur, que je tousse !
Plus rien n'est éternel dans les nues de ma clope
Envahie d'un mystère ou d'un pâle cyclope
Comblé par mon sommeil de rêves sous la mousse !
Ce soir, parmi les eaux où dansent les murènes,
Mes yeux ont laissé vivre une île de sirènes
Plus tendres qu'un sourire épars auprès du jour !
Mais, que vivre demain ? L'ailleurs a son malaise,
Les charmes enivrants d'immense ou frêle tour
Dressée comme un rocher loin de la côte anglaise…