Onze poèmes du recueil Carnet de voyage (Prix Arthur Rimbaud 2004)
VOYAGE VIRTUEL
Les soirs, elle allumait sans rêve son modem,
Pensant pouvoir ainsi s'évader au chatroom,
Surfer sur le web et quitter son living-room,
Le temps d'être envahie de songes ibidem !
Mais rien n'était réel et les îles : idem !
Quand de sa pauvre vie, un insane vroum-vroum
Se creusait dans sa tête en un éternel boum,
Son cœur voulait alors s'enfuir libre en tandem ;
Courir vers de grands lieux dont les couleurs extra
Rappellent les palmiers et les ailes d'ara !
Puis, sentir le matin intense à Haïti
Couvert de sable chaud ; paisible reporter
D'un autre paysage au loin du graffiti
Vétuste de Paris ou d'un calme poster !
EXPEDITION EN EGYPTE
Avoir en sa mémoire un flot de papyrus
Couvert de manuscrits qui viennent de là-bas :
Egypte dont les yeux, devant les mastabas,
Contemplent le passé derrière les cirrus !
Voir Thèbes,
Sur les rives du Nil, dans l'or d'un soleil bas,
Nourrir son souvenir de tombes, de débats ;
En livres, attraper, du Caire, le virus !
Enfin, se rappeler de haute pyramide,
Merveille de ce monde en nous qui m'intimide,
Et d'un félin doré qui fixe comme un lynx
La mort dans l'antichambre, austère de sermon,
Ou le regard ardent et hostile d'un sphinx,
Le Paradis perdu du dieu Toutankhamon !
DEBUT DES VOYAGES
1
PREMIERES EXPLORATIONS
Fœtus, je voyageais dans les grottes profuses
En liquide amniotique, aux nages follement
Privées de ce soleil que les morts nous refusent,
Arborent le silence en long empêchement !
Assez pris le sommeil dans ce trou, rabouillère
Dont le jour est perdu dans la nuit jusqu'aux doigts
De la lune ! Offrez-moi, par bonheur, grenouillère,
Biberon et landau des clartés d'autrefois !
Car le monde idéal est la foi d'innocence !
Ô Parfums, éloignez le passé ci-inclus
Dans le souvenir fade et vidé de décence
Quand l'enfance survit au bonheur qui n'est plus !
Je pleurais de la joie qui s'offrait aux naissances,
Renaissances partout qui détachent les pleurs
De l'enfant qui s'éveille et découvre les danses
De pays en pays pour d'affables chaleurs !
J'étais cœur voyageur au visage candide,
Explorant les atours des délires humains,
Avec les horizons de sable au reg aride,
Lourd sein de dune au vent qui frappe dans les mains !
2
ASSEZ DE BRAS PROTECTEURS !
Ô fâcheuses idées que de vivre en des bras
Intenses, maternels et dormir d'ignorance,
Souffrir à trop voir la tolérance
Quand s'enflamme un voyage et flambe sous les draps !
Lâchez ces protecteurs et ces mains que voilà,
- Me disais-je – assez de nos mères !
Rageur, je décidais d'enterrer les amères
Bontés dont l'aventure un jour se désola !
Et tôt, je pris la route affable vers le bruit !
Mes traces signaient la bravoure,
Comme un cœur rougissant où le charme savoure
Les faciès méconnus des filles de la nuit !
- Je criais – On est jeune et la révolution
Déraisonne l'odeur des caresses trop suaves !
Il est temps, ô ma vie, que tu braves
Les milieux qui ne sont rien sans brève passion !
3
J'ETAIS HELAS BRUMEUX…
J'étais hélas brumeux d'entendre mon enfance
Livide, être falot,
En larme, sans défense,
Vidant la mer sauvage et faible d'un sanglot !
Je rêvais, soyez fous, du désert qui condamne
Les dunes de mes yeux,
En dansant la sardane
Par tous les temps : maussade en neiges ou pluvieux !
Aïe ! Me frottant les bras aux piquants de l'orage,
Chardons, cactus, grands crocs,
Poursuivais-je avec rage
Les obstacles des cieux naturels ainsi trop ?
Plutôt que de brouiller les cartes, Paysage,
De tes jeux immoraux,
N'allais-je donc, pas sage,
Revoir mes chers parents aux larmes de coraux ?
4
FOLÂTRE VOYAGE
Folâtre voyage,
Trop bien avant l'âge,
Plaisant,
J'allais dans l'orage
Vieillir mon image,
Misant,
Le soir, sur la nage
Des bras et la rage
Aux dents !
Je traversais, sage,
Les flots, dans l'ombrage,
Ardents !
L'air tournait la page
De l'enfance en cage
Rêvant
D'un monde sauvage
Au long d'un rivage,
Au vent…
5
L'ENFANT DU FEU
Trop plein dans les ardeurs brûlantes que je traîne,
Jeunesse, à minuit cinq, je tourne mon profil
Vers neiges et glaciers qui freinent la moraine,
Emportent vaillamment les fièvres en terril !
Je brûle mes journées ! Les glaces sont perdues,
Voyagent au désert de sable lactescent
Par les trop forts rayons de chaleur et fendues,
Les quatre saisons qui se brisent en passant !
Je suis l'enfant du feu, le fier courant d'audace
Qui coule dans le sang du calme des pays,
Marcheur des chemins chauds dont le rêve se glace
Et dont le cœur voyage au dos des méharis !
Moi ! L'enfant qui sommeille en mon être dégage
Sinon que la révolte et l'amour ravalé
Face à ces soirs passifs, honteux dont le langage
N'est autre que l'ennui d'un monde désolé !
Manuscrit de "Voici donc Paris"
VOICI DONC PARIS !
Ah ! Voici donc Paris ! L'immense populace
Et les gens ruisselants qui sortent des métros,
Quand parle la froideur aux jambes qui se glace,
Déjà, dans l'hiver fou qui nous montre ses crocs !
Oh ! Voilà des murs gris au cœur de Montparnasse,
Le vaste jardin du palais du Luxembourg
Où flânent mes deux yeux ouverts à la vinasse
Nocturne de ce soir quand brille le faubourg !
Ah ! Encore la Seine en noirceur qui menace
Les passants trop pressés qui recherchent le jour,
Qui semble être partie comme une humble bonace
A travers le repos où s'engendre l'amour !
Oh ! Un temps pour dormir ou le temps qui prélasse
Dans le froid de la nuit qui s'entend regagner
La beauté du matin qui se forme en palace,
Sous les traits chantants de l'Opéra de Garnier…
DANS LES RUELLES PARISIENNES
Je me noyais dans les ruelles,
Entouré d'air et de ces belles
Joies, déités !
J'étais du genre des rebelles
Qui jetaient déjà les poubelles
Sur les étés !
Perdu, risible en la tourmente,
Je ne respirais pas la menthe
Mais le goudron !
Sauvage, éperdu vers l'amante
Qui se trouve être aussi aimante,
Sur son perron,
Je hurlais devant les cruelles
Avenues, en roulant des pelles
A ces beautés :
Mignonnes, tendres demoiselles
Qu'aucun ne sait dire donzelles
Aux rues, postées !
Il fallait pourtant que je sente
Grandir en mes bras l'indécente
Fièvre aux clairons !
Et c'est pour ma tête innocente
Que je flânais, adolescente,
Sur tes seins ronds !
A L'HEURE OU L'AVENTURE…
A l'heure où l'aventure émerge, des rivages
De monts, en se dressant, s'enflamment, soupirant
Colères et dédains qui mènent aux ravages
Du monde qui s'avère explosif et navrant !
Ô Magma : la caverne aux roches merveilleuses
Qui gonfle ma folie de vivre, traverser
Les feux, sentiers de flamme aux forces orgueilleuses,
Les dykes, cheminées qui parlent du passé !
Eruption effusive ! Oh ! Je vais, immature,
Me jeter, corps perdu, dans les laves en mer,
Ignorant le danger que la dame Nature
Va me tendre en chaleur sous mon pâle mohair !
Stromboli ! Ne viens plus rudoyer, ô grandiose,
Mon esprit de pensées inconscientes, carmin !
Je préfère un brouillard ou le gel qui se pose
Lentement sur mes doigts où se brûle un chemin…